Janvier, le mois des vœux

Après une année marquée par la démesure tant par les violences, les carnages, les famines, les canicules, on se demande si espérer encore peut avoir du sens.

Sans doute faut-il répondre comme l’agriculteur à la question « quel est le temps le meilleur pour vous ? – Celui de demain ». Espérons donc croiser en 2024 des porteurs d’espérance et non des vecteurs du repli sur soi et de la haine.

En six mois, premier tirage épuisé, en réimpression … bonne année pour l’éditeur !

Webinaire jeudi 25 janvier 2024 : Avec Cécile Leveaux nous allons explorer les modes d’approche de la conduite des colonies pour conjurer le sort des mortalités hivernales qui doivent n’être qu’une sale blague ! Comment collecter et traiter les informations pertinentes pour une conduite apicole optimisée

https://us02web.zoom.us/j/86852458075?pwd=YmF5L2paeW9tdGl5OU1PbWMrUDc0Zz09

Ouverture de la salle virtuelle 20h30 début des échanges 20h45

Pour le quotidien apicole

Le temps n’est à pas grand chose de plus que ce que nous avons fait en décembre, surveiller le poids des ruches. Chacun aura son échelle de risque pour savoir à quel moment apporter des compléments sucrés si les réserves internes étaient trop faibles.

Chez moi, les moutardes viennent d’être fauchées, elles étaient la principale source de pollen pour les abeilles. On pouvait craindre d’avoir du couvain en permanence, mais mes sondes indiquaient des températures internes des ruches trop basses pour qu’il y en ait encore. Et à l’ouverture de l’une d’entre elles, il y avait de très belles surfaces d’abeilles en CH1 sans couvain.

On peut s’attendre à ce que le traitement avec une spécialité médicamenteuse à l’acide oxalique par dégouttement relance la ponte des reines, c’est assez classique. Ces quelques ml de sirop et le stress du dégouttement provoquent une reprise de l’activité des glandes hypopharyngiennes et la gelée royale réapparait dans la colonie, la reine reprend sa ponte. Mais si le froid s’installait la reine cessera de pondre à nouveau.

D’ici la fin du mois ou début février, l’allongement significatif de la luminosité quotidienne accompagnera la reprise du couvain, on peut accentuer le processus en apportant un verre de sirop chaud dans un nourrisseur cadre. Cette stimulation est à faire avec parcimonie, la répéter accélère fortement l’expansion des surfaces du couvain, mais le risque est double.

D’une part on peut disposer d’une colonie trop puissante au démarrage des floraisons ce qui facilite la fièvre d’essaimage, d’autre part de pousser l’élevage à un moment où les rentrées de pollen sont faibles au regard du nombre de bouches à nourrir.

Les abeilles nourrices puisent dans leurs corps gras pour fabriquer les gelées nourricières, toutefois au détriment de leur qualité de vie : longévité, résistance aux maladies, capacités cirières … Aller trop vite pourrait produire une génération d’abeilles insuffisamment nourries en protéines ce qui engendre de médiocres nourrices pour les générations future. Et retrouver une situation saine demandera plusieurs cycles de ponte de la reine.

Vouloir forcer ainsi la nature, c’est plutôt du temps perdu.

Mais pour le fun on ne se privera pas de fêter la nouvelle année avec elles en leur offrant un verre en fin de mois.

Le temps du planning

Les pieds au chaud il est bon de rêver à l’année à venir. On appelle cela planifier les opérations. Le point le plus important sur la survie des colonies est la lutte contre varroa. Enfin, c’est le seul sur lequel on puisse vraiment agir efficacement, simplement et à court terme.

J’utiliserai essentiellement deux sources, les travaux menés par la FNOSAD depuis une dizaine d’années sur l’efficacité des médicaments dont son guide sur Varroa et Varroose ( https://www.fnosad.com/fiches-pratiques-a-telecharger ), et le travail que mène actuellement ADAAURA (ma Région) sur les stratégies de lutte (en s’appuyant sur les travaux de l’INRAE, l’ITSAP, l’ADAPI, la FNOSAD …).

https://adapi.adafrance.org/infos/varroa.php

Varroa

La première exigence sera de travailler la surveillance de l’infestation varroa dans les colonies. On contrôlera toutes les colonies. Vu la variabilité des comportements des colonies face à varroa vérifier l’état des lieux sur quelques colonies n’a aucun sens, n’en déplaise à nos copains statisticiens.

Car, conserver une ou deux crevures qui auraient échappées au test, le rucher étant estimé peu infesté de ce fait, c’est entretenir une source locale de ré-infestation qui abolira les efforts engagés pour lutter contre varroa. Il est important de repérer les colonies très infestées pour les traiter spécifiquement. Et il est tout aussi important de repérer les colonies très peu infestées pour privilégier leur reproduction si par hasard elles avaient des qualités d’auto nettoyage de varroa.

Dans un article publié par le Cari dans Abeilles & Cie d’il y a un an tout juste, Paul Jungels, le célèbre sélectionneur luxembourgeois de Buckfast, indiquait que les limites de ce que l’on pouvait faire contre varroa par la chimie étaient atteintes et qu’il était temps, non de rechercher de nouveau médicaments contre varroa ce qui favorise l’expression des lignées les plus virulentes, mais de travailler à la sélection de colonies naturellement résistantes à ce prédateur. C’est une perspective d’avenir à laquelle il s’est attelé il y a déjà plusieurs décennies. Pour l’heure, à notre niveau, traitons correctement nos colonies contre ce prédateur.

Contrôler le niveau d’infestation

Avant de traiter, surveillons le niveau de l’infestation, le traitement chimique n’est jamais anodin. Selon les molécules il impacte à des niveaux divers la longévité des abeilles et de la reine, sa fécondité et la survie du couvain. Le choix du traitement sera fonction du niveau de l’infestation.

La méthode simple et la plus fiable pour estimer le nombre de varroa présents sur 100 abeilles (c’est l’indicateur adopté) est celle du lavage d’abeilles avec de l’alcool ou du lave glace… mais on détruit des abeilles ce qui peut en déranger plus d’un ou d’une (faut penser à tout le monde). Le sucre glace ou le CO2 sont moins immédiatement toxiques pour les abeilles, ce sont des méthodes moins fiables, le CO2 étant la moins précise de toutes (mais très rapide et simple de mise en œuvre).

La chute naturelle de varroa observée sur une plaque graissée posée sur la chaussure ou sous un plateau grillagé est aisée mais très peu fiable, sinon qu’une chute massive indique une infestation non moins massive. Une absence de chute n’indique pas une absence d’infestation car en croissance du couvain, les femelles varroa sont dans le couvain et la durée de vie des varroas d’environ 90 jours. Sauf que les apiculteurs qui pratiquent de longue date cette méthode et qui l’appliquent à des dates régulières savent apprécier correctement leur niveau d’infestation.

Un choix acceptable tant du point de vue simplicité /rapidité / efficacité/ respect des abeilles, est le test au sucre glace. On compte 8 à 10 ruches testées à l’heure. Attention à l’hygrométrie du sucre glace qui devra être très sec et très pulvérulent.

La mesure la plus précise est le comptage de varroa dans les cellules de couvain si on a la patience d’en ouvrir une centaine pour regarder le nombre des varroas que l’on trouve sur les nymphes aux yeux noirs, c’est la méthode utilisée par les sélectionneurs mais pas vraiment généralisable.

Quand compter ?

Les préconisations actuelles proposent de faire 3 ou 4 comptages dans l’année,

  • un au printemps pour valider l’état des lieux et intervenir si nécessaire,
  • un avant et un après le traitement d’été (traitements sur la durée) pour savoir si le traitement d’été a été efficace et ré-intervenir si besoin. Si on fait un encagement de la reine (traitement instantanné avec une spécialité à base d’Acide Oxalique, dit flash), on peut ne faire que le contrôle après traitement puisque les médicaments à base d’acide oxalique donnent les meilleurs résultats,
  • puis un dernier début octobre pour parachever les traitements et préparer l’hivernage

Au sucre glace, les comptage doivent donner les résultats suivants :

  • au printemps on doit trouver moins de 1 varroa pour 100 abeilles
  • lors du contrôle estival moins de 3
  • lors du contrôle d’octobre moins de 2

Au delà de 7 on peut considérer que la colonie est condamnée, elle a peu de chances survivre l’hiver suivant.

Varroa possède un cycle de reproduction strictement calé sur le calendrier du développement de l’œuf à la naissance de l’abeille.

Quelles décisions prendre ?

Il est peu probable que l’on soit durablement en dessous des seuils cités, la puissance de reproduction de l’acarien varroa est telle que 1 varroa en début de saison ce seront entre 100 et 200 varroas en octobre selon la dynamique des colonies et la météo. En dessous de ces seuils on peut espérer que la colonie résistera aux prédations du prédateur.

1 – A partir du comptage printanier, on répartira les colonies en 3 groupes :

  • celles qui sont en dessous du seuil printanier et qui feront seulement l’objet de retraits de couvain de mâle entre avril et juin.
  • celles qui seront au dessus de ce seuil jusqu’à 5 varroas feront l’objet de retrait de couvain de mâles et d’un traitement avec un médicament à base d’AO lors des retraits de hausses pour extraction et lors des diminutions des surfaces de couvain
  • celles qui seront très au dessus des seuils seront développées jusqu’au moment des constitutions d’essaims. Ce sera fin avril ou mai, plus tôt dans les régions chaudes. les colonie seront cassées en autant d’essaims que de cadres de couvain (essaims sur 1 ou 2 cadres de couvain entre 2 PIHP, cf notre ouvrage sur la ruche RBC) avec ou non apport de cellules royales. La reine sera mise sur un essaim nu constitué des abeilles résiduelles et des butineuses. L’essaim nu sera traité avec une spécialité à base d’AO ainsi que les essaims sur cadres de couvain lors de la rupture de couvain et avant la reprise de la ponte de la reine. Nous y reviendrons dans les mois à venir.

A noter : en dégouttement 2 passages avec une spécialité titrée à 40/45g d’AO/l valent mieux qu’un seul avec une spécialité titrée à environ 60g d’AO/l. Pour les titrages des spécialités se référer aux RCP des spécialités médicamenteuses contre varroa

https://www.fnosad.com/documents-utiles-a-telecharger

En sublimation (réservée à ceux qui se sont formés à cette méthode pour des raisons de sécurité), l’efficacité maximale est atteinte si la ruche est totalement fermée.

Avec les cadres à barrettes de G Vaysse, la découpe des parties pondues en mâles est aisée, les abeilles rapiècent ensuite la partie découpée.

2 – Au moment de la récolte d’été (à faire début juillet pour laisser aux colonies le temps de se refaire une santé, surtout avec les canicules prévisibles) faire un encagement des reines. Je proposerai plus tard la méthode de l’isolation de la reine sans sa recherche avec 2 corps superposés. Au terme des 3 semaines d’isolation de la reine, le couvain aura disparu et on fera 2 passages d’une spécialité à l’AO à 4 ou 5 jours d’intervalle.

3 – Une vérification de l’efficacité du traitement sera faite fin septembre ou début octobre et si l’infestation reste élevée on pourra faire un traitement avec la spécialité à base d’acide formique, sous réserve de respecter les températures diurnes et l’augmentation du volume de la ruche pour une bonne diffusion des vapeurs. C’est un bon usage de cet acaricide qui est la seule solution jouable à ce moment de l’année. Si la ré-infestation fut massive il est encore possible de faire des essaims sur 2 cadres comme indiqué dans la conduite des ruches RBC, pour reproduire une période d’arrêt de couvain et refaire un traitement. Mais la surveillance de ces essaims sera un peu plus contraignante tant pour eux-mêmes que pour l’apiculteur. Souvent plus fragiles ils nécessiteront davantage attention sur le resserrement de la grappe et la suffisance en nourriture

Que dire des lanières à base d’acide oxalique ?

C’est un procédé initié en Argentine, qui donne lieu en France à des fabrications artisanales et à des importations illégales. Aucune autorisation n’est accordée en Europe à ce jour. Et on peut souhaiter qu’il en soit ainsi indéfiniment.

En effet, il est avéré que tout traitement sur de longues durées permet la sélection de lignées de varroas résistants à ce médicament, ce qu’évitent ou limitent très probablement les traitements flash. En l’absence de certitudes sur la découverte de nouveaux médicaments aussi puissants et bien adapté aux conditions d’une apiculture sous label Bio, il est donc souhaitable de préserver l’avenir dans l’usage de l’AO en récusant ces pratiques.

Pour finir

Ce long développement peut donner une image compliquée de la lutte contre varroa. Dans la pratique c’est relativement simple de mise en œuvre, c’est du temps, de la précision dans le calendrier des interventions, c’est un apprentissage, mais c’est le prix à payer pour faire exister l’apiculture. Nous ne sommes plus des cueilleurs de miel mais des éleveurs au sens le plus fort du terme. Des apiculteurs pas des varroaculteurs.

Belle année 2024

Auteur Jean Riondet

Apiculteur de longue date, Jean Riondet est un passionné qui aime apprendre et transmettre. Parallèlement à l’entretien de ses ruches, il enseigne l’apiculture depuis plus de 35 ans dans la région lyonnaise. Auteur d’un premier ouvrage, Un rucher dans mon jardin (Nathan, 1995), il rédige depuis l'an 2000 diverses rubriques d'abord dans la revue Abeilles et fleurs, puis dans la revue L'abeille de France. Il anime le blog de conseils apicoles sur Beehoo. Ses ouvrages actuellement disponibles : L'apiculture mois par mois - Le Rucher durable - Installer un premier rucher - Élever ses reines, trois méthodes simples. Il participe activement au Groupement d'action sanitaire apicole du Rhône (GASAR) qui assure la formation continue des apiculteurs du Rhône https://gasarhone.fr/ Jean Riondet est chevalier dans l'ordre du Mérite agricole

3 résponses de Janvier, le mois des vœux

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