Les dépopulations massives d’abeilles mars 2008

Je ne me substituerai pas aux travaux des scientifiques parus dans les trois revues nationales, Abeilles et Fleurs de l’UNAF, l’Abeille de France du SNA, et la Santé de l’abeille de la FNOSAD. Mais leur lecture et les échanges notamment avec mon ami, sélectionneur en Belgique, Henri Renson me conduisent au propos suivant.

Oui les pertes de cette année paraissent étonnantes. Encore que certaines ont été identifiées comme provenant des traitements insecticides préventifs sur fruitiers. Cf : www.rhône-apiculture.fr

Mais elles peuvent l’être car, en l’absence de cause vraiment évidente, tous ceux qui sont touchés ne sont pas que des farfelus amateurs incompétents qui changent leur méthode apicole sans arrêt. Des professionnels aguerris, des pluriactifs sérieux, des amateurs techniquement pointus sont victimes de ces dépopulations massives.

Ces pertes massives sont bizarres. Bizarres aujourd’hui, comme elles le furent l’hiver 2006. Et cela se reproduira dans de toutes proches années. Le pari peut être pris car, sauf à ce que les chercheurs nous trouvent une raison ou un faisceau de motifs explicatifs nouveaux, inattendus, nous vivons une mutation de la niche écologique, souvent évoquée, mais dont nous n’avons pas encore pris la mesure.

En fait, il faut bien se mettre en position de comprendre que les conditions écologiques pour nos abeilles ont radicalement changé en très peu d’années. Radicalement, le mot est juste et pas excessif.

Lorsque Varroa apparaît en 1983, les mortalités observées jusqu’alors par pesticides sont des mortalités instantanées, de contact. Meurent les abeilles butineuses touchées au contact des pulvérisations ou des dépôts sur les fleurs. La dynamique des populations des insectes est telle que passé l’effet dévastateur d’un traitement insecticide de contact, les couvains en naissant remettent les populations d’aplomb. Les récoltes sont compromises mais les colonies arrivent à survivre.

D’ailleurs, les phénomènes de résistances constatés chez les parasites visés sont le résultat d’une sélection d’individus particulièrement résistants aux doses utilisées et qui se sont rapidement reproduits rendant leur disparition sous l’effet de ces pesticides de moins en moins possibles. La dynamique démographique de ces parasites contournait les chocs successifs des traitements. Et plus on traitait, plus on sélectionnait rapidement des individus résistants.
Les abeilles, insectes parmi les insectes, partageaient la même logique.

1 – La nouveauté qu’apporte le varroa c’est que se met en place le premier niveau d’une situation d’affaiblissement endémique des populations. Les trous faits dans les membranes intersegmentaires de la carapace des abeilles ne cicatrisent pas, les bactéries, les virus peuvent coloniser l’organisme des abeilles. Elles sont affaiblies par la consommation d’hémolymphe par les Varroa mais aussi par les attaques bactériennes et virales.


2 – L’arrivée des insecticides et des fongicides systémiques ajoute une seconde source encore plus grave d’affaiblissement permanent des populations. Ces produits neuro toxiques rapportés dans les pollens, dans le nectar circulent sans arrêt entre les abeilles au sein des colonies.

C’est pour cela que les enquêtes ne montrent pas de manière évidente l’action d’un seul agent mais que n’est explicative que la combinatoire de ces agents chimiques à d’autres.
On désigne le varroa, le temps, la multiplication des cultures monoflorales provoquant des miellées cycliques, d’où des développements des colonies à contre courant des ressources alimentaires dans l’environnement. Le mauvais état sanitaire des populations est également mis en avant.
J’ajouterai un élément trop souvent mis en avant comme cause essentielle par les industriels de la chimie insecticide : les pratiques apicoles. Par exemple, pour des raisons de rentabilité, la transhumance fut une pratique qui s’est développée depuis 1/2 siècle. Or, le déplacement en pleine miellée stresse les populations et les rend hyper sensibles aux maladies, dont la nosémose.
Toute ces raisons créent les conditions d’un effondrement des colonies au moment où il n’y a plus de dynamique démographique des populations, c’est à dire en automne et en hiver.

Les actions possibles ne peuvent pas porter sur l’éradication du varroa, nous en limitons les effets néfastes. Nous ne pouvons pas lutter contre les cultures industrielles nous devons adapter notre conduite des colonies. Nous ne pouvons rien sur les aléas climatiques notre prudence seule sera efficace.

Mais :


– Nous pouvons lutter par des actions syndicales, politiques et de communication contre les insecticides et fongicides systémiques qui ne mettent pas en danger la seule santé des insectes mais sans doute également celle des humains.
– Nous pouvons agir par la conduite des colonies.

Donc :

– Nous devons redoubler de vigilance sur les méthodes de traitement, le Thymol ne peut être utilisé sur des populations faibles, ce produit agresse les abeilles ; l’acide oxalique n’est à utiliser qu’une fois par an, il est défavorable à la reine.

– Nous devons toujours maintenir des ruches populeuses et en bonne santé. La surveillance sanitaire doit redoubler : traiter efficacement contre varroa, supprimer les ruches loqueuses, toujours nourrir à des moments opportuns, ne pas transhumer si possible, par contre multiplier les ruchers sédentaires.

– Enfin, nous devons récolter tôt, en juillet, au cours de la dernière grande miellée, vers ,le 14 juilet puis nourrir immédiatement après la récolte avec environ 15 kg de sirop très concentré pour les populations peu riches en réserves. Cet apport massif avant la fin de juillet maintient la ponte de la reine, donc la population à un haut niveau, et constitue les réserves d’hiver. Les deux sont stratégiques : réserves d’hiver conséquentes et réalisées très tôt, pour disposer de populations surabondantes et en très bonne santé (plus les abeilles sont nombreuses et bien nourries moins elles sont sensibles aux maladies).

Les abeilles qui passent bien l’hiver sont de futures nourrices nées en septembre / octobre, qui n’ont absolument rien fait, elles n’ont été ni nourrices, ni cirières, ni transformatrices de nectar en miel, et elles ont consommé surabondance de protéines sous la forme du pain des abeilles et de couvain ouvert.

J’insiste sur la nouveauté de cette situation, sur la perception que nous devons en avoir, parce que des conditions d’affaiblissement permanent des populations d’insectes sont désormais présentes. La rémanence de produits chimiques toxiques, leur capacité à rester actif à des quantités très faibles dans le sol, l’ectoparasitose endémique par Varroa Jacobsoni font que nous empêchons nos abeilles d’exprimer leur dynamique de reproduction.

Nous sommes à un moment de l’histoire où la combinaison des facteurs négatifs joue en notre défaveur via les abeilles. A nous de lutter à divers niveaux pour contrecarrer les effets négatifs de cet environnement.

Jean RIONDET

Auteur Jean Riondet

Apiculteur de longue date, Jean Riondet est un passionné qui aime apprendre et transmettre. Parallèlement à l’entretien de ses ruches, il enseigne l’apiculture depuis plus de 35 ans dans la région lyonnaise. Auteur d’un premier ouvrage, Un rucher dans mon jardin (Nathan, 1995), il rédige depuis l'an 2000 diverses rubriques d'abord dans la revue Abeilles et fleurs, puis dans la revue L'abeille de France. Il anime le blog de conseils apicoles sur Beehoo. Ses ouvrages actuellement disponibles : L'apiculture mois par mois - Le Rucher durable - Installer un premier rucher - Élever ses reines, trois méthodes simples. Il participe activement au Groupement d'action sanitaire apicole du Rhône (GASAR) qui assure la formation continue des apiculteurs du Rhône https://gasarhone.fr/ Jean Riondet est chevalier dans l'ordre du Mérite agricole

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