Octobre le mois de toutes les complexités

Le webinaire de ce mois aura lieu le jeudi 24 octobre à 20h45 puisque le dernier du mois est à la veille de la Toussaint grand moment des transhumances du retour aux sources.

Thème « Trucs et astuces avec les ruches RBC et les autres par Jean Riondet »

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J’ai vu que les cultivateurs ont semé de la moutarde blanche il y a un mois sur les champs de céréales de cette année. Les fleurs commencent depuis le début du mois d’octobre, les couvains vont reprendre de la vigueur avec les rentrés de pollens et de nectars. Cette culture piège à nitrates est à la fois une bénédiction pour apporter de la ressource pollinique au moment où cesse progressivement le lierre mais une catastrophe si elle dure longtemps car cela entretient le couvain.

Le froid viendra-t-il nous aider pour provoquer une rupture de couvain. La rupture naturelle risque de ne pas être au rendez-vous cet automne. Vu l’importance du traitement contre Varroa en cette période, je ferai un encagement des reines d’ici la fin du mois d’octobre si le temps le permet et le traitement au décagement au début du mois de décembre. Faire un traitement à base d’acide oxalique est une assurance pour réussir un bon nettoyage de cet acarien.

Réaliser un encagement à ce moment de l’année serait sans doute moins perturbant pour les colonies dans la mesure où empêcher la reine de pondre se situe dans le timing du cycle de développement de la colonie. Les expériences des italiens en la matière seraient plutôt concluantes sur le très faible taux de mortalité des reines ou de leur absence de reprise de ponte en décembre / janvier.

Les colonie sont moins populeuses et la recherche de la reine moins complexe. Surtout si on a resserré les colonies sur une chambre 1 de petite taille.

L’incertitude sur le temps à venir nous interroge sur la conduite à tenir. Rater le traitement d’automne c’est mettre en cause la santé de nos colonies en 2025. Il faut s’armer de patience et être disponible au moment des jours adaptés à une telle opération. A voir si c’est réalisable.

Les frelons en octobre

Dans les pièges on commence à voir de très gros frelons, dits à pattes jaunes, on ne saurait dire si ce sont de futures fondatrices ou des ouvrières. Le Muséum National d’Histoire Naturel nous indique qu’il est quasiment impossible sans appareils spéciaux, en ce moment de l’année, de distinguer les femelles futures fondatrices des ouvrières. On les attire avec des appâts sucrés. Cet indice laisse penser que parmi ces visiteuses des ruches on doit trouver de futures fondatrices qui se préparent à l’hivernage. Le piégeage devrait toucher cette partie de la population. Espérons que ce soit pertinent.

Pour protéger mes ruches j’ai mis des muselières à tubes et essayé des grilles à reine à la place des portières d’entrée. Est-ce une solution complémentaire ? A voir.

Nourrir ?

Tout dépend de l’état des réserves. En ruche RBC si en CH2 on dispose de 2 cadres de miel, avec le miel qui s’étend en CH 1 (l’espace du couvain, de la reine et de l’essentiel des abeilles) depuis un mois maintenant, les réserves seront suffisantes pour la suite jusqu’en mars.

Si ce n’était le cas, apporter un pain de candi mis en sandwich entre 2 films réflecteurs permet d’assurer la survie de la colonie. Il viendra en complément du miel et fournira l’appoint nécessaire. L’important est de réussir une isolation et une étanchéité parfaites au sommet de la ruche.

J’ai commencé ce post par Varroa et la suite logique est le nourrissement. Ajoutons à cela un environnement favorable à la colonie et la mortalité hivernale devient un mauvais souvenir.

La ruche RBC

Cette conception de l’isolation qui nous vient de Marc Guillemain, est à contre courant de ce qui est souvent défendu. Enfermer le couvain dans un espace clos avec une très faible ventilation, isoler les réserves de miel au delà d’une partition sont des pratiques curieuses. Et pourtant l’expérience montre que la consommation hivernale est plus faible, la survie des colonies est bien meilleure et que le niveau d’humidité dans la ruche est plus faible.

L’isolation n’est pas la seule action, elle permet une révision de nos méthodes de conduite des colonies.

Commençons par l’isolation

C’est une façon d’offrir aux colonies un environnement profitable. Le tronc d’arbre creux où elles se sont développées depuis des millions d’années présente des caractéristiques totalement abandonnées dans nos ruches imaginées depuis le 19° siècle.

En 2019, l’Université de Leeds (UK), présente ainsi les travaux de Derek MITCHELL, ingénieur spécialisé en mécanique des fluides : « Ses recherches ont révélé que la majorité des ruches artificielles [Dadant, Langstroth…] ont sept fois plus de perte de chaleur et des entrées huit fois plus grandes que les nids naturels [les troncs d’arbres creux]. Ces facteurs créent des niveaux d’humidité plus faibles, idéaux pour le parasite [Varroa].

Les recherches de Derek montrent que le nid à couvain est beaucoup plus sophistiqué qu’un simple abri. Des modifications simples de la conception des ruches pourraient facilement réduire la perte de chaleur et augmenter l’humidité dans la ruche pour réduire le risque de reproduction de Varroa. D’autres recherches sur la complexité thermique des nids nous permettraient de concevoir la ruche idéale pour augmenter le taux de survie des abeilles. »

Ses travaux n’ont cessé de montrer depuis le début de sa thèse qu’une réflexion sur ce thème s’impose.

Le dernier article de Derek MITCHELL de novembre 2023 [https://doi.org/10.1098/rsif.2023.0488] pourrait être lu comme : « Le grappage chez l’abeille n’est pas un système d’isolation performant mais un radiateur stressant » car c’est une débauche d’énergie, épuisante pour les abeilles, provoquée par la minceur de nos ruches, véritables passoires thermiques. Penser que grapper est un phénomène normal voire bénéfique pour la colonie serait, selon ses analyses, parfaitement inutile et même contre productif. Il qualifie l’emploi de nos ruches à paroi mince de cruauté envers les abeilles.

Bouleau coupe partie supérieure de l’essaim

Cette idée de l’isolation est ancienne et des travaux antérieurs à l’arrivée de Varroa sont démonstratifs. Mykola H Haydak aux USA mène une étude dans des ruchers entre 1943 et 1953 en considérant 3 groupes de colonies, un groupe est installé dans des ruches ordinaires, un groupe dans des ruches peu isolées et un dernier dans des ruches très isolées. Il publie en 1958 ses observations et note que dans ces ruches classiques à simple paroi, 34 % des colonies étaient mortes ou affaiblies, mais seulement 15 %   disparaissaient dans les ruches légèrement isolées et pas plus de 10 %  dans les ruches très isolées. Or ces observations datant de 1943 à 1954 sont antérieures à l’arrivée de Varroa et des néonicotinoïdes présentés aujourd’hui comme la principale cause de l’effondrement des colonies en hiver.

Sans nier l’importance de varroa ni des insecticides modernes, l’isolation représente un paramètre à la libre disposition des apiculteurs. Alors, pourquoi pas essayer d’isoler nos ruches si les pertes hivernales sont amenées à se réduire de manière importante ?

Les travaux de Marc Guillemain

Sportif de haut niveau, capitaine de l’équipe de France Handisport de Basket ayant remporté aux jeux paralympique une médaille d’or puis une de bronze, il ne supportait pas l’échec. Il fallait dépasser l’adversité.

Après avoir mis dans une ruche une colonie trouvée dans un tronc d’arbre que l’on venait d’abattre, il l’a conduite pour hiverner et malgré tous ses efforts elle ne survivra pas à l’hiver. Il n’accepta pas ce coup du sort et s’interrogea sur les causes de cet échec. Après avoir longuement analysé, cherché des réponses il en conclue que la colonie était morte à cause du froid. Il se mit en tête de résoudre la question de l’isolation des ruches.

D’autres avant lui avaient eu cette préoccupation, les ruches en paille étaient recouvertes de bouse de vache, de gerbes de paille, mises dans des abris comme en témoigne les murs de ruches ou à abeilles, les appentis obscurs où les ruches en paille étaient placées durant la morte saison… Plus récemment on retiendra les textes d’Alin Caillas en 1948 qui promut la ruche Therma à parois isolées qui souhaitait qu’avec des matériaux à venir on puisse utiliser la réflexion pour renvoyer le rayonnement infra rouge produit par la colonie sur les abeilles et le couvain [Les méthodes modernes d’apiculture à grands rendements – 1948].

Marc Guillemain s’intéressa tout d’abord l’isolation du toit. Maintenant la préconisation est un toit peint en blanc pour réduire les ardeurs du soleil en été, avec un isolant (coussin) de 6 cm d’épaisseur en liège, fibre de bois, polystyrène extrudé.
Puis il s’intéressa aux parois, les modifications de celles-ci posent le problème du format des engins de manutention, de transport, de la modification des toits, des plateaux de sol… Trop de contraintes rendent une innovation caduque avant même d’avoir été testée.

Il imagina faire une isolation par l’intérieur. Ce fut un long chemin d’essais pas toujours concluants et de difficultés pour trouver des matériaux compatibles avec la vie d’une colonie.

Un jour on lui proposa un nouveau matériau, un isobulle aluminisé. A partir de ce moment il construisit un système d’isolation et en déclina une méthode de conduite des colonies. Avec Damien Merit un jeune étudiant en biologie devenu apiculteur professionnel, venu faire un stage chez lui, il accéléra l’évolution de ses matériels et peaufinera ses méthodes de travail.

L’idée centrale est de restituer aux abeilles un habitacle qui se rapproche du tronc d’arbre creux dans lequel les abeilles à moindre coût énergétique puissent maitriser les paramètres de la thermorégulation du couvain : température, hygrométrie, gaz carbonique.

Pour cela il imagine les Partitions Isolée Haute Performance les PIHP (dont le cahier des charges a fait l’objet d’un dépôt à l’INPI), cadre de corps ou de hausse en bois dans lequel est inséré un isolant de 20mm (liège, fibre de bois, polystyrène extrudé) le tout entouré d’un isobulle aluminisé tendu comme une peau de tambour qui déborde de 2mm les épaulements. Ainsi les excédents de l’enveloppe frottent sur les parois avant et arrière de la ruche. Une écharpe est posée sur le sommet du corps faite d’une feuille de réfléchissant qui touche les PIHP que les abeilles soudent avec de la propolis.

Entre 2 PIHP tous les cadres de couvain seront enfermés, ce sera l’espace de vie de la reine, son espace de ponte, dénommé Chambre 1 (CH1) de l’autre côté seront confinés les cadre de miel, la Chambre 2 (CH2). Damien Merit imagine alors de placer entre le corps et le plateau de sol une fermeture complète, un plateau isolant et réfléchissant, sauf une ouverture de 15mm x 300mm, pour assurer une entrée dans le corps, qui coupe tous les courants d’air ce qui parachève un confort qui se rapproche de celui du tronc d’arbre. Cet élément est appelé chaussure.

Et qu’observe-t-on ?

Dans l’espace de ponte de la reine, durant la saison, il n’y a presque pas de miel mais uniquement du couvain entretenu par moins d’abeilles que dans les ruches non isolées. Les rayons sont pondus sur l’intégralité de leur surface ce qui permet avec seulement 4 cadres d’avoir une surface de couvain identique à 6 cadres dans une configuration classique. Pour tenir la chaleur et l’hygrométrie requises, l’étanchéité de cet espace, son isolation, la réflexion, demandent moins d’énergie aux abeilles qui, de ce fait, sont moins nombreuses mobilisées pour l’entretien du couvain. L’excédent d’abeilles sera occupé au travail du miel ou au butinage.

Le fait que dans l’espace de la reine il y ait moins d’abeilles, toutes sont baignées de ses phéromones ce qui réduit le risque d’essaimage, sous condition bien sûr, d’âge de la reine, de lignée et de météo. Mais contrairement à une critique souvent formulée à l’encontre de ce confinement, non ce procédé n’accroit pas le risque d’essaimage, au contraire il le limite.

Durant l’hivernage, la population est réduite et se retrouve auprès de la reine. Au cours de la fin de saison, le couvain a été largement remplacé par du miel et l’autre chambre sera aussi remplie de miel. Dans cet espace restreint les abeilles seront en capacité de maintenir la température nécessaire pour vivre sans consommation excessive de miel et d’ailleurs on constate qu’elles ne grappent pas ce qui répond à l’injonction de Derek MITCHELL sur le respect du bien être animal.

Une autre critique concerne l’humidité. Une telle isolation qui fait ressembler la chambre de la reine à une bouteille thermos à l’envers, laisse penser que s’accumule l’humidité. Mais d’où provient cette humidité ? Du miel consommé par les abeilles.

Consommant moins de miel, les abeilles rejettent moins d’humidité ce qui ne signifie pas qu’elle soit absente. Une partie importante reste en suspension dans l’air d’où l’importance de limiter les points froids qui seraient source de condensation, d’éviter les courants d’air et de laisser aux abeilles la charge de gérer l’évacuation des gaz.

Si condensation il y a, on la retrouve essentiellement sur les rayons de l’autre chambre, elle sera récupérée par les abeilles lors de la reprise de la ponte de la reine qui nécessite de l’eau pour abonder les gelées nourricières. Des moisissures peuvent apparaitre mais soit elles sont limitées et cela n’a guère d’importance soit c’est de la pourriture notamment sur des espaces de pollen que l’on découpera lors de la visite de printemps.

La pose des hausses est encore source d’innovations, ce sera le prochain épisode !

Pour bien saisir l’intéret de cette démarche il faut la tester très simplement avec peu de moyens en faisant un essaim sur 1 cadre début avril dans nos régions de plaine tempérées. Cet essaim réussit pratiquement chaque fois et mieux que si on met 2 cadres ! En le nourrissant judicieusement et l’enrichissant de cadres bâtis puis à bâtir, il sera sur 4 cadres en juillet et apte à faire une petite récolte sur la miellée de l’été puis sera sur 6 cadres pour l’hivernage.

Incroyable, non ? Une économie de moyens étonnante.

Le mode d’emploi détaillé a été décrit dans un article paru dans La Santé de l’Abeille n° 320 Mars Avril 2024 à commander sur le site fnosad.com

Auteur Jean Riondet

Apiculteur de longue date, Jean Riondet est un passionné qui aime apprendre et transmettre. Parallèlement à l’entretien de ses ruches, il enseigne l’apiculture depuis plus de 35 ans dans la région lyonnaise. Auteur d’un premier ouvrage, Un rucher dans mon jardin (Nathan, 1995), il rédige depuis l'an 2000 diverses rubriques d'abord dans la revue Abeilles et fleurs, puis dans la revue L'abeille de France. Il anime le blog de conseils apicoles sur Beehoo. Ses ouvrages actuellement disponibles : L'apiculture mois par mois - Le Rucher durable - Installer un premier rucher - Élever ses reines, trois méthodes simples. Il participe activement au Groupement d'action sanitaire apicole du Rhône (GASAR) qui assure la formation continue des apiculteurs du Rhône https://gasarhone.fr/ Jean Riondet est chevalier dans l'ordre du Mérite agricole

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